Salif Keita en 1972 : « Que penseront tous les jeunes Noirs qui m’idolâtrent si j’acceptais aujourd’hui ne plus être un Malien à part entière ? »

Premier ballon d’or africain, l’ex-international malien Salif Keita fait partie de la légende du football française des années 60-70. 
Star incontesté à l’AS Saint-Etienne et à l’Olympique de Marseille, Salif Keita s’est toujours battu pour ses convictions. Dans le Forez d’abord face au surpuissant Président de l’ASSE, Roger Rocher mais aussi dans la cannebière pour une question de changement de nationalité.
Originaire du jeune État, le Mali, Salif Keita refuse: « Le Mali est une jeune république et, au-delà du football pro, mon avenir est là-bas. Que penseront tous les jeunes Noirs qui m’idolâtrent si j’acceptais aujourd’hui ne plus être un Malien à part entière ? »

 

Dans un article (ci dessous) publié sur son blog, Didier Braun explique dans quelles conditions Salif Keita « Domigo » refusera d’optemper, preferent quitter le club que d’etre un mauvais exemple pour la jeunesse africaine. Un pan de l’histoire de la « Panthere noire « …

Skoblar, Magnusson, Keita, le rêve impossible de l’OM par Didier Braun

Quel club n’a pas rêvé d’aligner simultanément les meilleurs attaquants du moment ? Au mois de novembre 1972, l’Olympique de Marseille a cru l’avoir fait. A l’issue d’un transfert qui a défrayé la chronique, l’O.M. vient d’engager le joueur malien de Saint-Etienne Salif Keita.

Voici réunis en attaque les deux recordmen des buts marqués en championnat de France de football, les deux meilleurs buteurs des deux dernières saisons: le Yougoslave Josip Skoblar (44 buts lors de la saison 1970-71 puis 30 buts en 71-72) et Keita (42 buts puis 29). Mais la venue du joueur malien oblige l’O.M. à se passer de son autre atout offensif, l’ailier suédois Roger Magnusson, le dribbleur-centreur qui donne les balles de but à Skoblar. Le règlement impose aux clubs d’aligner au maximum deux étrangers sur la feuille de match.

Deux étrangers sur la feuille de match

Dès le mois de décembre 1972, la rumeur circule à Marseille que l’O.M. pourrait aligner ensemble ses trois vedettes étrangères, si l’une d’entre elles se faisait naturaliser (Roger Magnusson) ou bénéficiait d’un statut d’assimilé (Salif Keita). Si Magnusson obtenait la nationalité française, il se dit même que l’O.M. pourrait engager un autre grand attaquant étranger, l’Argentin Oscar Mas. 

Premier match avec l’OM, premier but de Keita contre Saint-Etienne. Avec Skoblar (et aussi Gress, Bosquier, Kula, Leclercq), mais pas Magnusson

A cette époque, la football français connaît une vague de naturalisations, le but étant pour le club de contourner la règle des deux étrangers et d’en engager de nouveaux. Elle concerne les Sud-Américains Jean-Pierre Ascery (Nice), Alberto Fouilloux et Raul Noguès (Lille), qui ont prouvé une ascendance française, et l’Allemand Erich Maas (Nantes), marié à une Française.

Réunis une fois, contre le Bayern 

Une seule fois, Marseille peut aligner ses trois joueurs étrangers, lors d’un match de gala disputé au Parc des Princes, le 13 décembre, face au Bayern Munich (0-1) au Parc des Princes. Composition de cette équipe « historique », battue sur un tir de Höness, détourné par Le Boëdec:

Carnus – J.P.Lopez, Trésor, Bosquier, Kula – Gress, Le Boëdec, Franceschetti – Magnusson (puis Di Caro, 70e), Keita, Skoblar. Entraîneur: Kurt Linder.

Contre le Bayern (Breitner, à gauche), Keita a joué son seul match avec Skoblar et Magnusson

En janvier 1973, Roger Magnusson annonce qu’il pourrait être tenté par la naturalisation, rendue possible au mois de juin suivant par le fait qu’il aurait alors séjourné en France depuis cinq ans. Dans France-Football, le 16 janvier 1973, le Suédois avoue cependant être réticent: « je crains, dit-il, qu’en devenant français, on n’apprécie pas beaucoup ma naturalisation ». Il nie aussi qu’il toucherait 25 millions d’AF pour accomplir cet acte. Avant la fin de l’année, il a fait étudier la question par un avocat de Stockholm. Mais il conclut: « Franchement, pour moi, l’idéal serait que Salif Keita obtienne sa licence de joueur « assimilé ». » 

Dans ce reportage, il est indiqué que si l’assimilation de Keita n’est pas acceptée par la F.F.F., Magnusson, bien que sous contrat jusqu’en juin 1974, partira de Marseille, où il n’est plus titulaire depuis l’arrivée du Malien. Le Red Star est cité comme destination possible, en cas de départ de Marseille. On lit aussi que si Magnusson acceptait et obtenait la naturalisation, il se verrait offrir par l’O.M. une prolongation de contrat jusqu’en 1976 ou 1977.

Dans le même temps, l’O.M. fait le forcing pour que Keita obtienne une licence d’assimilé, en s’appuyant sur une convention passée entre les Etats français et malien, du temps de l’éphémère Fédération du Mali, en 1960. Un groupe de supporters marseillais obtient plusieurs milliers de signatures appuyant cette démarche.

Le refus de Keita met un terme au rêve marseillais 

Le 27 janvier, le Conseil fédéral demande un rapport sur la situation juridique de Salif Keita. Le bâtonnier Me Guerre, mandaté par l’OM, estime que la convention franco-malienne devrait permettre à Keita de jouer avec les deux autres étrangers. Il souhaite qu’il soit déclaré « autorisé à jouer avec une licence comparable à celle des joueurs français ». (L’Equipe du 15 février).

Mais le 16 février, dans L’Equipe, Keita refuse sans ambiguïté l’idée d’assimilation ou de naturalisation. Il déclare: « J’ai dit à M.Gallian qu’il fallait arrêter tout ça sans plus tarder. Mais il faut croire qu’il a oublié d’en parler à Me Guerre, ou alors, c’est ce dernier qui insiste. En tout cas, je ne veux plus qu’on aille contre ma volonté, faute de quoi je demanderai à revoir en fin de saison les conditions de mon engagement à l’O.M. » Pour lui, la convention franco-malienne date d’avant la fondation de la république malienne et n’a plus de valeur. Il ajoute: « Le Mali est une jeune république et, au-delà du football pro, mon avenir est là-bas. Que penseront tous les jeunes Noirs qui m’idolâtrent si j’acceptais aujourd’hui ne plus être un Malien à part entière ? » 

Dans France-Football du 20 février 1973, à l’issue d’un match de Coupe de France au Parc des Princes (O.M.-Ajaccio, 2-0, buts de… Keita et Skoblar), Keita est de nouveau très précis:

« Assimilé, assimilé, qu’est-ce que cela veut dire ? je suis Malien et j’entends le rester. Quand l’O.M. m’a fait venir au mois de novembre, il savait très bien qu’il engageait un étranger de plus. » 

« Je suis un joueur de race noire: j’ai le sentiment de représenter pour tous les jeunes de mon pays, et aussi du continent africain, un exemple: l’exemple qu’un gamin de Bamako, qui n’avait rien au départ qu’un fol amour du football, peut accéder à un certain rang dans la société. 

Ceux qui ne sont jamais allés là-bas n’imaginent pas combien mes moindres faits et gestes, à Saint-Etienne d’abord, à Marseille maintenant, sont guettés et commentés. J’en suis un peu gêné moi-même parfois, tellement cela me semble sans importance en comparaison de tous leurs problèmes quotidiens de la pauvreté qui existe encore un peu partout. 

Pour tous ces gens-là, je suis un peu « l’ambassadeur du Mali » dans le football français. Je me sens des devoirs envers eux et j’aurais l’impression de les trahir si j’acceptais une « assimilation ».

Avec Magnusson, mais sans Skoblar (Lille-OM, 0-2 en Coupe de France); debout de g. à d.: Zwunka, Kula, Carnus Lopez, Leclercq, Trésor; accroupis: Magnusson, Gress, Bonnel, Keita, Di Caro.

L’affaire se termine là. L’OM ne pourra jamais faire jouer ensemble Keita, Magnusson et Skoblar en match officiel. Cette saison 1972-73, Marseille perd son titre de champion de France, au profit de Nantes. Une nouvelle fois, Skoblar (26 buts) est meilleur buteur du championnat. Keita marque 10 buts sous les couleurs de l’O.M., qu’il quitte en fin de saison pour le FC Valence, es Espagne. Quant à Magnusson, il restera à Marseille une saison de plus avant de signer au Red Star.

Didier Braun

 

 

 

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